Amin Maalouf entre à l'Académie Française

(Article du Monde, par Alain Beuve-Méry)


Si Amin Maalouf n'avait pas été élu à l'Académie française, la blessure personnelle aurait été terrible. Elle ne se serait peut-être jamais cicatrisée. Romancier, journaliste, conteur, Amin Maalouf est d'une extrême sensibilité et d'une grande pudeur, qu'il peine à masquer derrière la monture de ses lunettes de myope. Jeudi 23 juin, il a été élu par dix-sept voix sur vingt-quatre suffrages exprimés, au premier tour de scrutin. Une élection de maréchal.

Pour la première fois, un Libanais, issu d'une famille francophone et chrétienne, entre sous la coupole. "Quand vous êtes un écrivain de langue française, l'Académie française, c'est la référence absolue, le lieu emblématique, dont on rêve depuis l'enfance", avoue-t-il.

Ce rêve de gosse, Amin Maalouf, 62 ans, l'accomplit dans des conditions inespérées. Ancien étudiant en sociologie, il succède à l'ethnologue et anthropologue Claude Lévi-Strauss, dont il admire l'oeuvre tant dans sa dimension intellectuelle que morale. "C'est extrêmement émouvant et intimidant de se retrouver dans ce fauteuil", ajoute-t-il.

Amin Maalouf est un écrivain inclassable. La culture du nomadisme et de "minoritaire" qui traverse son oeuvre s'explique sans doute par la multiplicité des patries d'origine de l'écrivain. Né en 1949 à Beyrouth, il a passé les premières années de son enfance en Egypte, où vivait son grand-père maternel. Revenu au Liban au moment où la guerre civile éclate, il décide de quitter sa patrie pour la France, en 1976. "Depuis, je les appelle tous les deux mes pays."

Dans sa vie, il a toujours eu le sentiment d'être étranger : chrétien dans le monde arabe ou Arabe en Occident. Cette thématique se retrouve au centre de son premier ouvrage, Les Croisades vues par les Arabes, publié en 1983 aux éditions Jean-Claude Lattès, alors qu'à l'époque il exerce le métier de journaliste. Il rencontre son premier succès de librairie en 1986 avec Léon l'Africain (Lattès) et décide alors de se consacrer à la littérature.

En 1988, il publie Samarcande, dans lequel, sur un sujet rebattu, il déploie un talent de conteur inspiré. En 1993, il atteint le Saint-Graal, en obtenant le prix Goncourt pour Le Rocher de Tanios (Grasset), qui a pour décor les montagnes libanaises de son enfance. "Quand j'avais cru atteindre le coeur de la vérité, il était fait de légende" : cette phrase située à la fin du livre donne une des clés du roman, mais aussi de la personnalité d'Amin Maalouf.

Suivent, notamment, Les Identités meurtrières, un essai, en 1998, et Origines, en 2004, tous les deux chez Grasset, où l'écrivain s'interroge sur des sujets d'actualité qu'il revisite à la lumière de son passé. "Je me suis toujours senti dépositaire de la mémoire des miens, mais je ne pouvais pas écrire tant que mon père et ma grand-mère étaient en vie", confiait-il au Monde en 2004.

Engagé dans le siècle

Amin Maalouf se vit aussi comme un écrivain engagé dans le siècle. Dans les années 1990, le drame de la Yougoslavie lui rappelle les blessures du Liban. Passionné par les questions de langue et d'identité, il déteste le concept de "littérature francophone". Il était en revanche, en 2006, l'un des 44 auteurs signataires du manifeste pour la littérature-monde en français, aux côtés de J.M.G. Le Clézio, Alain Mabanckou ou Dany Laferrière. Ce soutien, peu apprécié à l'Académie française, l'avait fait renoncer au fauteuil de Jean-François Revel, en 2007.

Cette élection intervient le jour où l'Académie française a décerné près de 70 prix pour l'année 2011, et notamment celui de littérature à l'Algérien Yasmina Khadra.

C'est au Liban que l'admission d'Amin Maalouf sous la Coupole promet de faire le plus de bruit. "Les Libanais sont très attentifs au sort de leurs compatriotes à l'étranger et sont encore plus sensibles aux honneurs, quand ils viennent de la France", a expliqué le nouvel "immortel".

No comments:

Post a Comment