De Nantes à Beyrouth


Point de vue d’une Française vivant à l’étranger en rapport
avec l’actualité notamment les révoltes musulmanes.


Née à Nantes,  ma vie se voyait un peu bousculée par la rencontre qui allait bouleverser ma vie : l’homme qui est  aujourd’hui mon mari qui plus est  libanais…

De Nantes, je partis à Paris et 3 enfants plus tard, nous partions vivre…à Beyrouth.
Militante depuis mon adolescence, j’ai toujours été intéressée par la politique et par la richesse des Hommes. Ainsi, depuis 17 ans que je partage la vie d’un libanais et surtout depuis 6 ans que je vis au pays des cèdres, je grandis chaque jour : en humanité, en culture, en maîtrise de géopolitique car la géopolitique, nous ne la lisons pas, nous ne l’analysons pas, nous la VIVONS.

Attachée à mon pays, la France, surtout depuis que je n’y vis plus, je vis un décalage énorme entre la vie en Orient et l’information que nos médias diffusent sur cette région. Je suis chrétienne. J’observe les différentes religions ici au Liban qui ont chacune des localités géographiques plus ou moins  déterminées.
La 1ère leçon que je tire de ma vie au Liban, c’est de ne pas réfléchir ou réagir comme une « française ». Pourquoi ? Car nous, français avons la chance d’être nés dans un pays où les valeurs Républicaines sont notre base. Il n’y a pas un jour où je ne suis pas fière d’être française et d’appartenir à cette Patrie. Et je réalise aussi que j’ai de la chance. Notre République est basée sur la Liberté, l’Egalité et la Fraternité. Je vous assure que lorsque l’on quitte la France pour vivre à l’étranger, nous réalisons plus que jamais que nous appartenons au plus respectueux des pays du monde.

Depuis ma naissance en France, j’ai la chance de me lever sans la boule au ventre et la peur d’un bombardement. J’ai la chance de vivre dans un Etat, avec des structures, avec la gratuité de la santé, des allocations à n’en plus finir, des écoles gratuites, et je peux continuer la liste longtemps…D’ailleurs, nous, français, sommes tellement habitués que dès qu’il y a un petit problème, l’Etat arrive avec ses grands sabots!

Ces rappels sont importants  pour comprendre dans quel monde nous vivons. Pour « lire » l’information surtout celle de l’Orient, il faut se débarrasser de notre mentalité de français vivant en France et se mettre  à la place de ces peuples qui vivent dans des climats de guerre soit parce qu’ils l’ont vécu, soit parce que des menaces pèsent en permanence sur eux. Ils vivent dans des pays souvent sans structures, sans « Pôle Emploi », encore moins sans la gratuité des soins. Ils vivent dans la précarité. Ainsi, ces peuples se tournent très souvent vers leurs communautés religieuses et ils retrouvent une aide sociale : des écoles, des soins, etc…
Que feriez-vous si depuis votre naissance, vous viviez sous une menace particulière et que vous ne constatiez qu’une chose : c’est que seule  votre communauté  vous aide!

C’est une 1ère erreur expliquant le fossé creusé entre l’Orient et l’Occident :  les peuples occidentaux analysent l’actualité avec leur mentalité occidentale sans une compréhension préalable de la vie réelle de ces peuples, êtres humains identiques à nous mais vivant sur une autre partie du globe terrestre avec une histoire différente de la France, une culture différente, des enjeux et des besoins différents.

La 2ème erreur  est la diffusion via les médias de l’Occident et les amalgames ou raccourcis causant des dégâts définitifs entre les peuples. J’ai l’habitude de dire : « la peur et la bêtise  viennent de l’ignorance ».
Exemple : Un jour, je croise une équipe de journalistes d’une grande chaîne de télévision française à Beyrouth qui prenait un café au Consulat. Des amis les recroisent le soir même dans une boite de nuit libanaise, bien accompagnés et bien arrosés. Le lendemain, nous suivons leur reportage au journal de 20H et quelle ne fut pas notre surprise : le journaliste portait un gilet par balles, un casque et s’était placé devant un des rares immeubles criblés de Beyrouth. Nous étions furieuses, voilà le décalage : ces journalistes viennent à Beyrouth profiter de la vie festive et montent un reportage crash pour que les français pleurent ou s’effrayent devant l’écran.

Ce n’est pas anodin car cet exemple est permanent et contribue à tromper les occidentaux sur l’orient.
 L’autre  soir, un français d’Egypte était interrogé par un journaliste (qui d’ailleurs annonçait 30 000 français en Egypte alors qu’ils sont environ 4000), dénonçait l’irresponsabilité de Charlie Hebdo, qui a réalisé son petit dessin tranquille dans son bureau parisien sans penser à ses  2 millions de compatriotes vivant  à l’étranger!

Aussi, Mme Dounia Bouzar a très bien répondu sur Canal+ à Luz, le dessinateur: « A partir du moment où vous avez réalisé ce dessin, c’est évidemment pour provoquer mais cela signifie que vous crédibilisez les extrémistes religieux. » Et tout est là : l’Occident et la France réagissent exactement comme les extrémistes le souhaitent. L’indifférence serait pourtant  la réaction la plus cruelle. Donc, ce Charlie Hebdo en créant le buzz médiatique avec ce schéma donne de l’importance  à ces minorités. Oui, la France est laïque ; oui la France est républicaine mais nous ne vivons plus une époque où un Etat vivait sa vie, dans son coin. La planète n’est plus qu’un village divisé en 2 : d’un côté des pays développés, organisés, démocratiques et de l’autre des pays sous-développés, souvent corrompus, religieux. Et les pays développés se sont transformés pour la plupart en donneurs de leçons vis-à-vis des pays sous-développés avec l’impression naïve que leurs choix diplomatiques se mixaient très souvent à des choix purement économiques…certains « couchent » avec l’ennemi, des dictateurs en méprisant totalement la pauvreté et désarrois des peuples…puis d’un jour à l’autre ces mêmes trouvent ces mêmes autres très  méchants et décident même de les renverser voir de les tuer : voilà ce qui alimentent les discours des extrémistes.

Comment voulez-vous que certains peuples  ne s’insurgent pas et ne se tournent pas vers leur religion ? Comment naissent les extrémistes ? Comment attirer des jeunes vers les extrêmes ? L’Histoire nous l’expliquent malheureusement : parce que ces jeunes ont décroché, ne sont pas cadrés, n’ont pas été éduqués, vivent dans la pauvreté, n’ont rien à perdre…

Les printemps arabes ont souvent été évoqués comme si des gentils démocrates voulaient renverser des méchants dictateurs. Il y a bien sûr du vrai mais penser comme cela est une ignorance totale de la géopolitique et les lendemains de ces printemps arabes ressemblent plus à des hivers que des étés. Les valeurs démocratiques et républicaines sont rares dans ces régions.

En France, j’ai été très émue par le témoignage de Latifa Ibn Ziaten, maman de la 1ère victime de Mohammed Mehra.  Je crois qu’elle a résumé  par des mots simples ce que certains politologues ou journalistes cherchent à développer dans d’innombrables analyses.

Alors, aujourd’hui en France, nous constatons une montée d’extrémisme religieux. Mais comment pouvait-il  en être autrement ? La France a trop longtemps toléré des discours de rejet de nos valeurs républicaines et  on en paye  le prix aujourd’hui.

La semaine dernière, le Pape Benoit XVI était au Liban. C’était une actualité exceptionnelle car la situation régionale est exceptionnellement tendue et que toutes les communautés religieuses confondues se sont rassemblées autour de lui. Et bien, nos journaux français n’ont relayé cette information que quelques secondes.

Je crie au nom de mes 2 millions de compatriotes à l’étranger mon dégout face à cette irresponsabilité vaniteuse de certains journalistes qui ne font  que creuser le fossé entre peuples semblables scientifiquement et tellement différents. Mais cette différence pourrait être une richesse si les uns respectaient les autres et si les uns et les autres s’écoutaient et s’instruisaient mutuellement sans supériorité.
J’en appelle à la responsabilité médiatique. L’heure n’est plus à l’enfermement national mais à l’autorité d’une nation sur son peuple avec une ouverture respectueuse vers les autres nations sans leçon particulière mais avec la pensée que chacun peut enrichir l’autre.

Il faut agir pour que les arguments des extrémistes ne soient pas repris par des jeunes désorientés car malheureusement   les choix des uns, les actions des autres sont du pain béni pour ces chefs religieux stimulés uniquement par la haine et la violence.

Fabienne Blineau-Abiramia

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